Tribune. Une Haïti éblouie par Maryse Condé

PAR EMMELIE PROPHÈTE*

De la Caraïbe francophone, on voit plus les dissemblances que les ressemblances. Ce sont des Îles, orphelines d’un continent qui pourrait les rassembler et leur permettre de tisser entre elles d’autres liens que ceux du passé esclavagiste.

Pour faire face aux silences voulus et entretenus, pour continuer de respirer, tenir debout, regarder demain, comme dirait Césaire, elles ont quelques âmes rebelles, quelques figures qui ont tissé des histoires, forgées un temps de réparation, un temps pour présenter autrement les femmes et les hommes qui les habitent.

Maryse Condé est de ces figures-là.

Écrire et Habiter Haïti, faire partie de son tourment, de sa douleur, de ses espérances, guide forcément vers une œuvre-lumière comme celle de Maryse Condé. On commence par le plus simple, le plus accessible, faute de la disponibilité des livres sans doute, un certain lien avec le pays, qui intrigue.

Une histoire de jeunesse et d’amour que l’on a un peu peur d’entendre, par pudeur, mais aussi parce qu’on sait qu’elle s’est terminée dans le silence. Ce lien avec Haïti est un lien de chair et de sang. Un fils. Il est aussi écrivain. Les histoires des autres ne sont jamais totalement vraies ou totalement fausses, il y a toujours un élément du cœur qui manque, une fulgurance inexpliquée et inexplicable qui aurait permis, sinon de comprendre, mais d’imaginer.

Maryse est ce lien ténu avec Haïti, mais aussi quelque chose de grandiose dans laquelle on se reconnait, de laquelle on se réclame : sa littérature.

En 2012, est publié La vie sans fard. Une biographie. Un magistral art de raconter. La grande écrivaine nous invitait dans ses voyages, ses amours, ses quêtes. Et, bien sûr, comme à chaque fois que nous sommes en face de la grande littérature, de celles et de ceux qui la créent, au détour de chaque phrase, avec semble-t-il une grande économie de moyen, nous arrêtons de chercher la vérité au profit d’une vérité : la beauté. Tout le reste est accessoire.

L’important, après, c’était de trouver les livres qui n’avaient pas encore été lus et d’espérer qu’il en vienne plein d’autres, à côté de Ségou, Traversée de la Mangrove, Moi, Tituba Sorcière.

C’est son cœur de femme, d’écrivaine, sa curiosité également, celle dont l’écrivain J. M. Coetzee dit qu’elle est une valeur morale, qui l’avaient emmenée sur le continent africain, dans toutes ces villes, pour comprendre qu’elle portait déjà en elle ce qu’elle cherchait.

Quand Maryse Condé parle de liberté, d’indépendance, on sait et on sent de quoi elle parle.

Ce Cœur à rire et à pleurer laissait voir tant de sillons, des orages et des tempêtes, mais était ouvert sur les autres et croyait dans la possibilité de tirer le meilleur parti de l’amour. Comme pour Tituba Sorcière, croyait et croit que la chance est au bout de la prochaine tentative, s’en aller en restant soi-même et se promettre de reconstruire cette cabane au milieu de la forêt, comme un lieu de liberté, d’amour, un refuge, peut-être, pour laisser se calmer la furie des autres et essayer de comprendre.

On renforce sa certitude d’être d’un lieu en le quittant, et l’on comprend que partir est en fait une impossibilité qui peut s’achever sur une sorte de jouissance, une fête à laquelle les sens sont invités pour témoigner que si le temps passe, nous restons nous-mêmes, Maryse Condé dira en 2017 alors qu’elle était en Guadeloupe : « Les lieux, on les porte en soi. Mon seul chez-moi, c’est la Guadeloupe. Je ne suis pas en manque parce que je rêve beaucoup, des cabosses de cacao, de La mer et des odeurs du pays. »

On se rappelle cette venue en Haïti en 2007, l’émotion de la voir aller d’un lieu à un autre d’un festival qui n’avait pas su faire se déplacer ceux qui, pourtant, aurait mérité de l’entendre dire « Haïti, ce pays est le mien aussi. »

Maryse Condé nous met en difficulté. Il y a tellement à dire et à lire qu’il nous faut modérer notre enthousiasme pour ne pas perdre le souffle bien vite. Tant de mots, tant de pays, tant d’histoires, tant d’amours, tant de complexité, tant et tant de Maryse Condé en nous et entre nous.


*Emmelie Prophète est récipiendaire en 2022 du Prix Fetkann Maryse Condé de la Mémoire 2021 pour son roman « Les villages de Dieu »

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