Opinion. Restauration de la sécurité et de l’autorité : la Guadeloupe et la Martinique condamnées au désenchantement et à l’impuissance face à la mutation sociétale ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Dans les Antilles françaises, le sentiment d’un désordre social qui s’installe durablement ne relève plus du simple ressenti, il s’appuie sur des chiffres et des réalités tangibles. La Guadeloupe et la Martinique, jadis perçues comme des laboratoires de l’intégration républicaine, se trouvent aujourd’hui confrontées à une crise multidimensionnelle : explosion de la violence, perte de confiance dans les institutions, désenchantement de la jeunesse et essoufflement économique.

Face à ce tableau préoccupant, deux urgences s’imposent : instaurer la sécurité tout en restaurant l’autorité de l’État et exiger des élites économiques et politiques un sens accru de la responsabilité collective.

Les homicides, les tentatives de meurtre, la banalisation de l’usage des armes à feu donnent à voir une société où la mort se mêle à une certaine impuissance des autorités et à une véritable poussée de la peur citoyenne. La violence juvénile n’est pas un accident conjoncturel mais le symptôme d’un malaise sociétal profond. Elle traduit une rupture entre les jeunes et leurs institutions, entre les attentes de transformation sociale et économique et les réponses trop faibles ou trop tardives des décideurs publics.

Dans cet espace laissé vacant par le désengagement civique, le narcotrafic s’impose comme une alternative économique puissante, drainant près de 400 millions d’euros par an, rien que dans les Antilles françaises. Cette économie parallèle prospère sur la pauvreté, le chômage, l’absence de perspectives et l’inefficacité de la régulation des ports et aéroports, véritables passoires logistiques.

Face à des cartels organisés, structurés, disposant de moyens techniques et financiers colossaux, les institutions paraissent figées, bureaucratisées, incapables de coordonner aujourd’hui efficacement la riposte.

C’est dans ce contexte d’urgence sécuritaire qu’est intervenu le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, en déplacement en Martinique et en Guadeloupe. Son diagnostic est lucide : la proximité avec les grands bassins d’approvisionnement comme l’Amérique latine ou les États-Unis alimente un flux constant d’armes et de stupéfiants qui transite par les îles de sainte Lucie et de la Dominique.

Pour y répondre, il a présenté pour la Martinique une stratégie en « trois membranes » : la mer, avec un renforcement des moyens de surveillance maritime via radars et drones ; le littoral, avec l’opération Scotopelia et la création d’unités nautiques spécialisées ; enfin les points d’entrée, ports et aéroports, avec l’installation de scanners mobiles et l’annonce d’équipements plus sophistiqués à venir.

À cela s’ajoutent la pérennisation d’un escadron de gendarmerie, la création d’une brigade nautique, le renforcement de l’Ofast par 26 enquêteurs supplémentaires, et des groupes spécialisés sur les armes. Sur le plan social, le ministre a insisté sur la délinquance des mineurs, évoquant la nécessité de sanctions fermes, de peines courtes mais exécutées, et même de sanctions financières envers les familles défaillantes.

Enfin, il a appelé à renforcer la coopération régionale, promettant une conférence en 2026 avec les États voisins.

Ces annonces, si elles traduisent une volonté de fermeté, doivent toutefois être analysées avec prudence. Car ce n’est pas la première fois que les Antilles voient défiler des ministres venus avec des promesses de renforts et de modernisation sécuritaire. Déjà dans le passé, dans d’autres pays du monde, l’installation de scanners portuaires avait été présentée comme une avancée décisive, mais sans contrôle rigoureux ni maintenance adaptée, ces équipements se sont vite révélés inefficaces.

De même, les renforts temporaires de forces de l’ordre, souvent rappelés au bout de quelques mois, ont laissé le terrain vide face à la résilience des trafiquants. La nouveauté annoncée aujourd’hui – drones, radars, brigades spécialisées – risque de connaître le même destin si elle n’est pas accompagnée d’un suivi concret, de moyens humains pérennes et d’une coordination réelle entre services, et surtout en l’absence d’un rétablissement de la fermeté et de l’autorité.

Car, face à une violence endémique des jeunes et un narcotrafic organisé, transnational et bien financé, les demi-mesures technologiques ne suffiront pas.

L’efficacité des mesures ministérielles dépendra donc de leur inscription dans un projet global de restauration de l’autorité de l’État et de refondation du pacte civique. Sans fermeté dans l’ensemble du corps social, sans implication des élites locales dans une vision claire de développement, ces mesures risquent d’être perçues comme un énième effet d’annonce.

Le succès ne se mesurera pas au nombre de drones survolant le littoral, mais à la capacité à réduire la violence de proximité, à enrayer le recrutement de mineurs par les réseaux criminels et à rétablir la confiance des citoyens dans la justice et la police.

Ce qui est en jeu dépasse le quotidien de la Guadeloupe et de la Martinique : il s’agit de leur capacité à redevenir des sociétés dynamiques, ouvertes et confiantes en elles-mêmes. Restaurer l’autorité de l’État et responsabiliser les élites ne sont pas deux objectifs séparés mais les deux faces d’une même médaille.

Sans ordre public, il n’y aura pas de développement économique et surtout touristique ; sans responsabilité des élites, il n’y aura pas de cohésion sociale.

Le temps des illusions est passé. Celui des choix courageux doit s’ouvrir sans délai.

*Economiste et chroniqueur 

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