Opinion. Violences en Guadeloupe : une prise de conscience collective, une mobilisation générale et des moyens à la hauteur des enjeux

PAR OLIVIER NICOLAS*

Le 10e décès par arme à feu ou arme blanche mercredi soir en Guadeloupe sonne comme une nouvelle alerte sur l’explosion de violences que connaît notre archipel depuis de longs mois, pour ne pas dire des années.

La Fédération socialiste de la Guadeloupe appelle à une prise de conscience collective, une mobilisation générale et des moyens humains et matériels enfin à la hauteur des enjeux, face à une criminalité qui a changé de nature avec une circulation d’armes à un niveau jamais atteint.

Cette violence a pris depuis longtemps un caractère sociétal qui nécessite d’être traitée dans toutes ses multiples dimensions. C’est notre jeunesse guadeloupéenne qui s’entretue sous nos yeux, certes souvent autour des trafics, mais parfois pour des motifs beaucoup plus futiles comme le vol d’une chaîne en or ou d’un scooter.

La réalité de notre territoire invalide totalement la vision systématiquement propagée par l’extrême droite locale d’une violence qui serait liée à l’immigration clandestine.

En revanche, à l’instar d’autres pays de la Caraïbe, notre situation géographique nous place en état de grande vulnérabilité, car nous sommes au carrefour de tous les trafics, à quelques centaines de kilomètres de pays où les armes sont plus ou moins en vente libre, comme les Etats-Unis. Et, s’il est un domaine dans lequel la coopération avec la Caraïbe mériterait du volontarisme, c’est bien dans celui de la lutte contre les trafics et le crime organisé.

Dans un tel contexte, le manque de moyens policiers est bien réel, comme ne cessent de le dénoncer les syndicats de police, dont nous soutenons les revendications.

Il est évident que les effectifs en hommes de terrain — malgré leur dévouement que nous saluons — sont aujourd’hui insuffisants pour couvrir efficacement toutes les zones de l’archipel où règne l’insécurité. Ainsi, nous affirmons que les effectifs de la compagnie départementale d’intervention de la police nationale — 40 hommes aujourd’hui — ont été globalement divisées par 3 depuis les années 2000, ce qui est inacceptable !

Les gouvernements successifs ont privilégié des déploiements de moyens ponctuels, principalement de gendarmerie, pour répondre à des flambées de violence jugées elles-mêmes ponctuelles. Ce choix avant tout comptable doit être abandonné. Car, il consiste à répartir la pénurie d’effectifs existant sur le territoire national depuis les années Sarkozy et il revient à privilégier les réponses de court terme au détriment d’un travail de fond.

Mais, le manque d’effectifs se situe également au niveau des enquêteurs de police judiciaire afin de répondre au développement des trafics d’armes et de stupéfiants, mais aussi de la délinquance financière.

Or, ce besoin criant en Guadeloupe intervient dans un contexte national de désaffection des enquêteurs pour la filière judiciaire au regard de sa complexité et, surtout, du manque de moyens matériels et technologiques à leur disposition pour lutter contre des réseaux criminels toujours mieux équipés, notamment en matière de communications électroniques. Il apparaît néanmoins urgent de renforcer les moyens d’enquête sur notre territoire.

Outre ces problématiques de moyens, la question du déploiement de la vidéo-protection reste également posée avec acuité. Car trop de zones urbaines sensibles sont aujourd’hui laissées sans surveillance et manquent aussi d’éclairage, ce qui favorise incivilités, violences et sentiment d’impunité. Les engagements de l’Etat et des collectivités locales en la matière doivent être tenus.

Autre dimension qui appelle une mobilisation des pouvoirs publics : les moyens de la justice.

Celle-ci reste en effet, particulièrement en Guadeloupe, un service public sinistré qui manque de magistrats et de greffiers. En outre, les lieux de privation de liberté — récemment visités par les parlementaires socialistes — sont des machines à produire de la récidive, là où des réponses adaptées aux différents profils de délinquants devraient être mises en oeuvre.

L’insuffisance des formations pour les détenus et personnes sous main de justice — compétence de la Région — et leur inadaptation quand elles existent, maintiennent la prison comme un lieu d’exclusion qui éloigne ceux qui en sortent d’une véritable réinsertion.

Assurément, l’explosion de violence que nous connaissons est la conséquence de ces défaillances multiples auxquelles on pourrait notamment rajouter les difficultés des politiques d’aide sociale à l’enfance (ASE), compétence du Département. Mais, elle est aussi le symptôme d’une société en perte de repères, où les injustices croissantes d’une Guadeloupe à plusieurs vitesses se conjuguent avec des petits et grands arrangements avec la loi — hélas trop souvent impunis — qui minent la cohésion de notre société.

La mobilisation générale que les socialistes appellent de leurs voeux implique d’abord de sortir du déni d’une Guadeloupe où tout irait bien, quand tout indique le contraire : de la défaillance de nos services publics au déclin démographique, en passant par la défiance profonde des citoyens envers leurs élus.

Elle implique ensuite un travail collectif à tous les niveaux pour restaurer en Guadeloupe la confiance, le respect et l’autorité sans lesquels une société ne peut faire face aux défis qui sont devant elle.

Un travail qui doit commencer au sein de la cellule familiale, y compris en augmentant significativement les moyens dévolus à l’aide à la parentalité, dans un territoire où les familles monoparentales sont plus nombreuses qu’ailleurs.

Un travail qui doit se prolonger au sein de l’école, qui doit être plus que jamais le lieu primordial de sensibilisation et de lutte contre toutes les violences.

Un travail qui, même s’il ne sera probablement jamais achevé, doit être une priorité immédiate. Sans quoi nous nous condamnerions à continuer de pleurer une litanie de morts absurdes.

*PREMIER SECRÉTAIRE DU PARTI SOCIALISTE DE GUADELOUPE

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