Série. Littératures anglophones de la Caraïbe avec Dominique Aurélia

La littérature de la Caraïbe anglophone est, dès son émergence (années 50) sur une terre d’exil (l’Angleterre), dominée par des écrivains concernés par les problématiques identitaires de leurs nations en devenir (Lamming, Brathwaite, Naipaul, Walcott).

Il s’agira d’examiner comment les notions d’espace et de lieu sont élaborées et reconstruites par la mémoire, l’imagination, les fantasmes, le désir, la langue et les mythes dans le contexte postcolonial de « dé-placement », de démontrer comment le lieu et l’espace se confrontent dans l’imaginaire des communautés diasporiques tiraillées entre l’ici et l’ailleurs.

Dans les années 40, 50 la période de transition est difficile d’un point de vue économique et politique et de nombreux caribéens vont émigrer vers les villes de l’ancienne métropole : l’Angleterre. Cette génération d’immigrants est connue sous la dénomination de la « Génération Windrush ». Il s’agit de citoyen(ne)s qui ont immigré au Royaume-Uni entre 1948 et 1971, pour répondre à un manque de main d’œuvre suite à la Seconde Guerre mondiale.

A l’origine de cette dénomination il s’agit d’un navire, Empire Windrush, utilisé historiquement par l’Allemagne nazie et récupéré après la guerre par les Britanniques qui avait été mobilisé, pour amener 492 passagers (dont beaucoup d’enfants) depuis les Caraïbes à Tilbury Docks. D’autres bateaux suivront transbordant plus d’un demi-million de Caribéens vers le pays fantasmé. De jeunes hommes vont partir eux aussi en quête d’un ailleurs / les Barbadiens Georges Lamming et Brathwaite, les trinidadiens Selvon, et Naipaul, le Saint-Lucien Walcott parmi les plus célèbres. UWI (The University of the West Indies) a été fondée en 1949.

Des magazines littéraires circulent tels que BIM ou FOCUS pourtant ces jeunes écrivains en herbe ne peuvent vivre strictement de leur art. Leurs premiers romans seront publiés en Angleterre et de manière paradoxale, la matière de leur écriture sera empreinte d’instabilité puisqu’elle consiste en un voyage physique ou imaginaire mais toujours troublant, entre deux espaces culturels d’appartenance : le pays du dedans (la « patrie ») et le pays du dehors (le lieu d’implantation).Ces écritures sont marquées à la fois par la nostalgie cassée par le renoncement à la terre d’origine. Ils s’établissent en exil, solitaires mais pourtant féconds.

Si on se réfère aux titres de leurs romans, The Emigrants, The pleasures of Exile (notez l’oxymore) (Lamming), Lonely Lodoners (Selvon), la thématique de l’exil est au centre de leur écriture et leur imaginaire se nourrit à la fois de leur pays d’origine qui résonne comme un Ailleurs et de la complexe aliénation du pays d’implantation qui s’est transformé en un Ici. Les écrivaines font le choix de s’exprimer dans une forme qui tout en interrogeant les canons européens, s’affranchit de toute revendication nationale ou des contraintes discursives de leurs prédécesseurs. Elles vont donc explorer la fissure, l’interstice, le frottement.

Elles vont exposer le corps qui exsude les menstrues. Ce corps oblitéré, négocié, invisibilisé, sexué. Dans Autobiographie de ma mère, par exemple, Jamaica Kincaid, écrivaine Antiguaise-américaine dépèce, dans une langue dépouillée et brutale, sans une seule ligne de dialogues, l’histoire de la résistance et de la survie des peuples dominés à travers Xuela, le personnage féminin le plus dépouillé de son œuvre.

Raconté par une vielle dame de soixante-dix ans, ce récit révèle un monde colonial divisé entre les forts et les faibles, les riches et les pauvres, les puissants et les vaincus. Au-delà de ce monde binaire surgit l’histoire de la découverte du corps, son corps, sa libido. Et c’est à travers sa vision et l’appréhension de son propre corps et de celui des autres qu’elle définit son rapport à la vie.

Dionne Brand par exemple née à Trinidad , émigrée au Canada explore elle aussi, les thèmatiques du genre de la sexualité et du féminisme, de la domination masculine blanche, des injustices et des « hypocrisies morales du Canada ». Bien qu’elle soit souvent qualifiée d’écrivaine caribéenne, Brand s’identifie comme une « canadienne noire » et se classifie comme écrivaine queer comme Shani Mootoo écrivaine trinidado-canadienne qui dans son premier ouvrage Cereus blooms at night (1996) traduit « Fleur de nuit » , déploie la confusion des genres avec des personnages trans-genres qui s’assument.

Le nouvel ICI c’est l’Amérique du Nord, le Canada ou les Etats-Unis comme pour dire peut-être, l’impossibilité de se territorialiser. La mise en œuvre de cette constante redéfinition du sujet diasporique caribéen, de sa quête de reterritorialisation qui s’élabore à travers la proposition d’une nouvelle vision liminale, crée ainsi une autre cartographie des espaces transculturels reliant le même et l’autre, l’ici et l’ailleurs.

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