DOSSIER. OUTRE-MER : quels enjeux ?

Le 12 juin 2023, les présidents des grandes collectivités d’Outre-mer seront à Paris pour un Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM).

PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL

Ils se sont réunis en visioconférence le 16 mai pour commémorer un événement, l’Appel de Fort-de-France : Guy Losbar, président du Conseil départemental, maître d’œuvre des discussions en Guadeloupe, accompagné de Jean-Marie Hubert, vice-président de la Région, « Ary Chalus étant excusé », Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de la Martinique, Gabriel Serville, président de la Collectivité territoriale de Guyane, Louis Mussington, président de la Collectivité de Saint-Martin, Huguette Bello, présidente de la Région Réunion, Mohamed El-Hadi Soumaila, conseiller du président du département de Mayotte, Ben Issa Ousseni, « empêché par une situation sur l’île qui requiert toute son attention. »

DE LA DOMICILIATION A L’AUTONOMIE

Qui sont-ils ? Ce sont les signataires de l’Appel de Fort-de France lancé, lundi 16 mai 2022, en marge de la conférence des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, qui se tenait en Martinique. Un pavé dans la mare de la République.

« L’appel solennel à l’Etat » invitait celui-ci à changer. Cet appel venait après des émeutes en Guadeloupe surtout, un peu à Fort-de-France et en Guyane, en fin d’année 2021. Il venait aussi après qu’une délégation de la Guadeloupe, rencontrant le ministre des Outre-mer, lui eut signifié le souhait des élus d’une « domiciliation locale de certaines compétences. »

Ce qui venait à retirer à l’Etat jacobin, tout puissant dans l’Hexagone et encore plus dans ses territoires d’Outre-mer, certaines compétences auxquelles il est très attaché.

Sans vouloir répéter une fois de plus la réaction de l’Etat par le truchement du ministre Sébastien Lecornu, il faut souligner que cette demande timide a eu un certain écho. Le ministre des Outre-mer, venant d’une classe politique plus pragmatique, parfois plus brutale dans ses déclarations, répondait favorablement à la demande esquissée par les élus et lançait le mot « autonomie », provocation, dont on sait qu’il effraie un peu Outre-mer. Car, de l’autonomie à l’indépendance, il n’y a qu’un pas, disent certains. La Polynésie française est autonome et ancrée dans la République, la Nouvelle-Calédonie est autonome… et l’on sait qu’elle se cherche un nouveau destin. Du moins, certains politiques plus ou moins affidés à la Chine qui lorgne d’un œil possessif d’une part le nickel dont le territoire est producteur, d’autre part la possibilité de positionner ses troupes (tout est possible dans les années à venir) à quelques encâblures d’un vaste territoire convoité : l’Australie.

GABRIEL SERVILLE LE PLUS ACTIF

Si l’on devra à Serge Letchimy l’initative de l’Appel de Fort-de-France, c’est Gabriel Serville qui, depuis son élection, le 2 juillet 2021, fidèle à sa ligne de conduite du temps qu’il était député de la Nation… et de la Guyane, a manifesté dès son élection sa volonté de tenir sa promesse d’une rapide évolution statutaire en demandant « une plus grande autonomie ».

D’ailleurs, du temps de son prédécesseur, Rodolphe Alexandre, des travaux avaient été ouverts mais menés mollement. « C’est une histoire sans fin », avait daubé Gabriel Serville.

Mais, avec lui, pas de mollesse mais une volonté farouche d’aller de l’avant.

Ce qu’a voulu dès avant l’élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022 Gabriel Serville, c’est se mettre dans la perspective d’une autonomie. Pas d’articles 73 ou 74 de la Constitution, mais un article particulier, pour la Guyane, qui pourrait bénéficier ainsi ce que Gabriel Serville a appelé « un statut à la carte. » En fait avoir de nouvelles compétences et le pouvoir d’adoption de lois locales.

« L’autonomie n’est plus un tabou. Ce n’est pas non plus l’indépendance », a conclu Marie-Laure Phinéra Horth, sénatrice et maire de Cayenne.

Le 12 mai 2023, le Congrès des élus s’est réuni à Cayenne. Pour la énième fois, avec une série de propositions à remettre au gouvernement. Comme en Guadeloupe et en Martinique, les élus sont prêts à la discussion avec l’Etat.

LE COUP DE MAÎTRE DE SERGE LETCHIMY

Revenons au 16 mai 2022. Coup de tonnerre quand sur les télévisions des Outre-mer d’abord, nationales ensuite (mais bien des heures plus tard), l’on a vu une brochette d’élus souriants fiers d’avoir apposé leur signature au bas d’un papier : l’Appel de Fort-de-France, pensé, écrit essentiellement par Serge Letchimy qui recevait l’ensemble des présidents des RUP en sa bonne ville-capitale de Fort-de-France. L’occasion était belle de s’isoler entre « ultramarins » pour se déterminer sur une posture basée sur un constat commun : rien ne va plus réellement entre les besoins des populations de ces Outre-mer et ce qu’on en voit (envoie aussi) depuis Paris et les ministères.

Et puis, les résultats de l’élection présidentielle n’ont-elles pas effrayé les élus locaux — et choqué Paris ? Marine Le Pen, la fille de son père, n’a-t-elle pas réalisé des scores impressionnants, battant partout Outre-mer le président sortant ?

L’explication donnée est que les populations sont mécontentes de Paris. Que ces mêmes populations soient mécontentes aussi des élus locaux n’a même pas été esquissé… D’autant que l’Appel de Fort-de-France a donné cette impression de fronde qu’aiment bien les « ultramarins. » Certains élus, entraîné par le mouvement, se sont même écriés : « On va voir ce qu’on va voir ! » Ils allaient « parler haut et fort » à Paris.

Un dîner à l’Elysée avec Emmanuel Macron — nombre d’élus ont profité de l’occasion pour un selfie bien innocent avec le chef de l’Etat — et la promesse d’un Comité Interministériel sur les Outre-mer, CIOM, dans quelques mois a suffi à calmer les esprits. Seule exigence du chef de l’Etat : qu’on revienne à lui avec un audit local des relations collectivités-Etat et des propositions concrètes pour, en plus de mettre de l’huile dans les rouages, faire que l’Etat et les collectivités engagent d’autres rapports, plus respectueux des intérêts locaux.

EN GUADELOUPE, ON TRAVAILLE

En Guadeloupe qui, ne l’oublions pas, avait lancé timidement le pavé dans la mare en demandant « la domiciliation locale », Ary Chalus et Guy Losbar ont joué le jeu de la consultation des forces vives. En fait, Guy Losbar s’est vu confier la maîtrise de la commission ad hoc chargée de faire l’audit et les propositions. Et aussi, dans un second temps de réfléchir sur une évolution statutaire. Commission composée d’élus de la Région comme du Département. Des auditions ont été lancées, des rencontres sur le terrain avec la population, des contributions demandées aux partis politiques. Pour rédiger un document qui serait remis au gouvernement dans la perspective du CIOM.

Qu’y a-t-il dans ce document dont on sait qu’il est bien avancé, qu’une mouture a été remise il y a quelques jours au ministre, lequel n’a pas souhaité qu’elle soit rendue publique ?

Dans ces pages, il y a trois semaines, nous avons publié la lettre d’accompagnement, qui rappelle le format. Les thèmes, l’idée…

Entretemps, car, comme le dit Jean-Marie Hubert premier vice-président de la Région, « la domiciliation des pouvoirs ne résoudra jamais tout », certains partis politiques ont apporté leurs contributions sur ce qui regarde l’évolution des institutions. Certains en ont fait des tracts, comme le LKP, pour lequel la seule solution aux maux du péyi c’est « lendépendans » (voir par ailleurs).

D’autres prônent l’assemblée unique, d’autres en restent à la fameuse « domiciliation », d’autres encore parlent d’ « autonomie », de « plus de pouvoirs », etc.

Mais, tous veulent… « autre chose ».

Jean-Marie Hubert, toujours : « Il faut prendre place dans cette France en écrivant une nouvelle page de notre histoire. »

A LA RÉUNION, « EVITER LE STATU QUO DE LA PEUR »

On savait la dynamique Huguette Bello, toute puissante à la Réunion depuis son fauteuil de présidente de Région, attachée aux intérêts de son île.

Elle a signé l’Appel de Fort-de-France, participé à toutes les réunions, à Paris – pas question de manquer l’occasion de savoir ce qui se passe — et montré qu’elle a du caractère.

Qu’a dit Huguette Bello à la visioconférence ?
Elle a salué l’initiative commune, retenu que les 7 ont élaboré un texte qui les rassemble tout en respectant les spécificités, fait le constat selon lequel ces territoires sont arrivés au bout de la logique de départementalisation en retenant que celle-ci a apporté des acquis indéniables.

Néanmoins, il existe sur ces mêmes territoires « un mal développement de moins en moins supportable et une absence de perspectives. »

Ce qui s’est traduit par « l’importance des abstentions et des votes contestataires : il est manifeste que nos concitoyens ne se reconnaisse plus dans des décisions nationales qui ne leur correspondent plus. »

Or, chacun des territoires doit faire face à des défis locaux. Pour cela, il faut qu’il y ait de « nouvelles relations avec le pouvoir central », volonté qui n’est pas, a-t-elle rappelé, « spécifique aux Outre-mer » certaines régions de France ayant émis le même souhait.

Huguette Bello a rappelé qu’il faut agir pour « éviter le statu quo de la peur », aller vers « un statut à la carte » mais fermement rappelé que « la Région Réunion est attachée à son statut. »

Louis Mussington, solidaire

Quand on écoute Louis Mussington, président de la Collectivité de Saint-Martin, « c’est en arrivant à Fort-de-France que j’ai appris qu’il y avait une réunion, que mes collègues voulaient lancer un appel au gouvernement… sans hésitation, j’ai adhéré par solidarité. »

Il était question de « parler haut et fort aux Parisiens », « nous sommes allés à Paris en délégation, puis nous avons rencontré les autorités de l’Etat. Pas de sujet tabou, a dit le président de la République. Il faut poursuivre la démarche engagée. »

Pour Louis Mussington, « les problématiques changent selon les territoires, mais l’interlocuteur est commun : l’Etat français. Il faut dire ce qui ne va pas chez nous. »

En fait, s’il a suivi le mouvement, le colosse a sa propre route qu’il mène sans sourciller : d’abord se rapprocher de l’autre côté de la frontière, Sin Maarten, ce qui semble pragmatique, les liens entre communautés étant si serrés, ensuite se rapprocher des autres îles-pays de la Caraïbe, anglophonie faisant cause commune. Même si les soutiens chiches du gouvernement britanniques vers ses anciennes colonies ne seront jamais les aides européennes tombant sur Saint-Martin.

Mayotte dans la tourmente

Tandis que de bonnes âmes pleurent à Paris (sur commande ?) sur le sort des immigrants expédiés des Comores pour faire nombre à Mayotte en cas de référendum sur l’avenir de ce petit territoire, département français jalousé et convoité par Anjouan, Ben Issa Ousseni, président du Département, soutient l’initiative du gouvernement de vider les bidonvilles, de renvoyer les illégaux chez eux. Pour que les Mahorais puissent vivre dans une certaine quiétude, sans l’insécurité qui gagne peu à peu des bidonvilles aux quartiers tranquilles jusqu’à présent.

C’est son conseiller, Mohamed El-Hadi Soumaila, qui a lu un texte de Ben issa Ousseni auquel « la situation actuelle à Mayotte ne laisse pas beaucoup de latitude. »

Il a relevé que l’Appel de Fort-de-France a mis en avant points communs mais aussi difficultés : « il faut adapter des solutions aux territoires, reconnaître une approche à la fois globale et spécifique des problèmes. »

Ses problèmes à lui sont l’immigration illégale, la jeunesse désœuvrée quand elle n’est pas immigrée illégale et errante, les infrastructures (il nait 10 000 bébés chaque année à Mayotte où plus de la moitié des habitants sont des ressortissants étrangers, mais leurs bébés sont Français).

La Corse, modèle ?

Depuis des décennies, la Corse et en quelque sorte le modèle de ce que voudraient les ultramarins — sans les bombes — et il ne manque que cette « autonomie » qu’ils réclament à grands cris pour que les nationalistes corses se voient juchés et contents sur le toboggan de l’indépendance.
Sitôt les élus guadeloupéens ayant demandé « la domiciliation de certaines compétences », Sébastien Lecornu, fidèle d’entre les fidèles, quasi la voix d’Emmanuel Macron, eut-il prononcé le mot « autonomie », et déclaré que « si les Guadeloupéens la veulent, ça ne pose pas de problème », que les indépendantistes et autonomistes corses se sont engouffrés dans la brèche, demandant le même traitement, la même volonté gouvernementale.
Le 26 mars 2022, réuni en congrès des élus, Gabriel Serville et la classe politique guyanaise réclamaient « une autonomie à la carte dans la République française. »
Interrogé par des journalistes parisiens, le président de la Guyane répliquait qu’il « ne voulait pas rater le convoi de la Corse » tout en soutenant qu’il n‘avait pas la Corse pour modèle.

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​