Des chocs de tous types ont impacté l’économie haïtienne au cours des quinze dernières années. Dans son document intitulé Cahier de Recherche pour le mois de mai 2024, la Banque de la République d’Haïti (BRH) présente les différents chocs ayant frappé l’économie haïtienne de 2010 à 2021 en faisant ressortir leurs impacts.
Très puissant et dévastateur, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a, en plus des pertes en vies humaines, causé des dégâts matériels évalués par la Banque interaméricaine de développement (BID) entre 7.8 et 8.5 milliards de dollars américains, souligne le document de la banque centrale.
Ce séisme a provoqué une croissance négative de 5.5% du produit intérieur brut (PIB) réel. Après ce cataclysme, l’acheminement de l’aide a été effectif et un autre choc en est survenu, dénommé dans le document : « Choc du flux d’aide ».
Les dons accordés à Haïti sont passés de 394 millions de dollars américains en 2009 à 1.8 milliard de dollars en 2010, les transferts sans contrepartie de 1,3 milliard de dollars américains en 2009 à 1.4 milliard de dollars en 2010, sans compter le flux de devises provenant des organisations non gouvernementales (ONG) et d’autres organisations internationales.
« Ces devises sans commune mesure avec les capacités productives de l’économie haïtienne ont renforcé la dépendance du pays par rapport aux importations. Ces dernières augmentent de 57% pour atteindre 4.4 milliards de dollars, monnaie américaine », lit-on dans le document, lequel ajoute qu’il sera difficile, dans les prochaines années, de générer autant de devises pour financer le niveau d’importation auquel l’économie s’est accommodée.
Deux ans après le séisme, une autre catastrophe naturelle a frappé le pays, l’ouragan Sandy, provoquant des dégâts évalués à au moins 74 millions de dollars américains. C’est surtout le secteur agricole qui en a fait les frais avec la poursuite de la baisse de sa valeur tendancielle dans le PIB. Ensuite, pour la réponse post-Sandy, l’Etat se trouvait dans l’obligation d’émettre des billets de Trésorerie pour un montant de cinq milliards de gourdes.
« De ces 5 milliards d’obligation, un montant de 2,8 milliards de gourdes a été acquis par la BRH, lequel, additionné aux autres créances sur le gouvernement central, a porté le financement monétaire pour seulement les mois de septembre à octobre 2014 à plus de sept milliards de gourdes », révèle le document, précisant qu’à partir de là, l’économie allait connaitre une inflation annuelle à deux chiffres depuis 2015 et le taux de change allait passer de 4.15% à 14,45%.
Au cours de l’année 2014, l’économie haïtienne a connu deux chocs, l’un lié à la baisse des flux d’aide externe et du financement PetroCaribe et l’autre au maintien des prix des produits pétroliers à des niveaux élevés. En effet, l’aide externe a diminué en tombant sous la barre d’un milliard de dollars (914 millions de dollars) après avoir enregistré un pic de 1.38 milliard de dollars en 2012.
Cette chute de l’aide externe a poursuivi année après année avec des conséquences sur les finances publiques : la dépendance de l’Etat par rapport au financement monétaire de la banque centrale et la réduction de la disponibilité de devises.
Entre 2015 et 2016, l’économie haïtienne avait subi des chocs liés aux troubles électoraux. « Les élections de 2015 et de 2016 ont affecté non seulement l’activité économique, mais aussi, par ricochet, les finances publiques. Parallèlement, les incertitudes liées à la période électorale n’ont pas manqué d’alimenter la dépréciation de la monnaie nationale de 27% en 2016.
En moins de 10 ans, le pays a été frappé par une nouvelle catastrophe naturelle en 2016. L’ouragan Matthew avait dévasté le grand Sud. « L’ouragan a causé des dégâts évalués à plus de 2.6 milliards de dollars (plus de 22% du PIB) et contribue à la faiblesse du PIB pour l’exercice 2016-2017, 1,2% », souligne la BRH dans le document. L’ouragan Matthew avait impacté l’offre locale de produits alimentaires tout en accentuant l’inflation. Donc, l’indice des prix à la consommation avait été de 15.40%.
Quand le gouvernement avait pris le décret faisant obligation d’utiliser la gourde comme monnaie de transaction en 2018, cela a entrainé un choc d’ordre socio-économique et politique. « Le décret exigeant de régler en gourdes les transactions sur le territoire a donné lieu à toute une série d’anticipations négatives sur des possibles mesures pouvant affecter les avoirs en devises des agents de l’économie. Ces anticipations ont accéléré le rythme de la dépréciation de la gourde, passant sous la base d’une moyenne mensuelle de 0,38% à 1.67%
Au cours de cette même année, l’économie haïtienne subissait la hausse des prix du pétrole de près de 49% dans un contexte où le mécanisme PetroCaribe n’existait pas et sans ajustement à la pompe. Cette hausse combinée à une dépréciation de 11,62% du taux de change ont conduit à des pertes de recettes records sur les produits pétroliers, plus de 17 milliards de gourdes. Ce déficit de recettes était probablement comblé par le financement monétaire record de l’année 2018.
Ce financement monétaire en question avait atteint le niveau de 24.31 milliards de gourdes au 30 septembre 2018, soit 3 fois plus que celui de l’exercice précédent. Par conséquent, la gourde avait perdu 11.62% de sa valeur et l’inflation annuelle était passée à 14,60%. Les conséquences se faisaient sentir au cours du prochain exercice fiscal.
La tentative d’ajustement des prix des produits pétroliers, les 6 et 7 juillet 2018, allait provoquer des troubles sociopolitiques dans le pays. C’était un choc à la fois pour l’économie avec une hausse du taux de change de 33% et de l’inflation de 19.71 et une baisse du PIB de 1.7% en 2019.
De septembre à novembre 2019, l’économie a subi fortement les effets des troubles sociopolitiques liés au phénomène « Peyi lòk ». Les résultats d’une enquête d’opinion de la BRH auprès de quelques entreprises ont fait état, entre autres, de 35% des entreprises interrogées victimes des dommages matériels et 65% ayant réduit leur effectif de 10 à 25% par la mise en disponibilité d’employés. « En raison de la forte baisse des activités liée au « Peyi lòk », le financement monétaire se chiffrait à 15.9 milliards de gourdes au 31 décembre 2019 et l’inflation s’approchait de la barre de 20%, avec une variation de l’IPC en glissement annuel de 20.80%.
Un autre choc, pas des moindres, a frappé l’économie haïtienne en 2020, la crise sanitaire liée à la COVID-19. À cause de cette pandémie, des mesures restrictives avaient été prises, provoquant la paralysie quasi-totale des activités. En conséquence, une chute importante des importations a été constatée et une augmentation des dépenses et décaissements de plus de 46% pour faire face aux effets de la pandémie. Aussi, le financement monétaire avait atteint au mois d’août 2020 le niveau de 33 milliards de gourdes et le dollar s’était apprécié de 25%.
En 2021, l’économie haïtienne a subi des chocs énormes liés à l’aggravation de l’insécurité avec l’éclatement, le 1er juin 2021, d’affrontements entre les groupes de gangs armés à Martissant, un quartier situé au sud de la capitale. Cette situation provoque le blocage de la sortie sud de la capitale et l’interconnexion de quatre départements géographiques avec la capitale et le reste du pays. En outre, elle a entravé la circulation des personnes et des marchandises. En effet, l’apprivoisement des marchés de la capitale en produits alimentaires provenant du grand Sud est devenu quasiment impossible et les prix desdits produits ont grimpé.
Un mois plus tard, le pays allait faire face à un choc politique de taille, l’assassinat du président de la République Jovenel Moïse dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. « D’une certaine façon, ce choc a renforcé la perception négative d’Haïti auprès des investisseurs et amplifié les incertitudes des agents économiques », lit-on dans le document.
Un autre séisme a dévasté le grand Sud du pays en date du 14 août 2021, faisant plus de 2 000 morts et plus de 12 000 blessés. Le nombre d’habitations détruites ou endommagées, selon le document, représentait respectivement 53 000 et 77 000. Les dommages et les pertes se chiffraient à 1.6 milliard de dollars américains. Selon la Banque mondiale, cette catastrophe a causé une réduction du PIB de 8%.
Source : le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/251668/leconomie-haitienne-etouffee-par-une-succession-de-chocs