La Grande interview. Christian Baptiste : « Je voterai toutes mesures permettant de faire avancer le territoire et le peuple guadeloupéen »

Christian Baptiste, député de la Guadeloupe, est actif à l’Assemblée nationale. Il défend avec conviction son territoire et tout autant les Outre-mer. Entretien exclusif.

Vous avez lutté point par point sur le budget des Outre-mer. Comment peut-on le qualifier ?

Je confirme. Mes collègues ultramarins et moi-même avons eu des débats nourris avec le Gouvernement, des échanges passionnés à l’occasion desquels nous n’avons eu de cesse de rappeler à quel point nos territoires d’Outre-mer étaient les grands oubliés de la République, à quel point la vie chère, les retards structurels de développement exacerbaient les inégalités sociales et économiques dans nos départements, enfin à quel point il était temps d’adresser sérieusement cette urgence sociale avec des mesures structurelles et non pas des mesurettes conjoncturelles.

Le budget outre-mer adopté récemment est un budget qui connait une légère hausse par rapport à l’année précédente. C’est indéniable. Est-ce à dire qu’il est en adéquation aux enjeux que connaissent véritablement nos territoires ? La réponse est négative.

Il s’agit d’un budget qui , de façade, traduit une hausse des moyens alloués par l’État pour les Outre-mer, mais pour autant qu’il convient de relativiser et replacer dans son contexte.

Pour cela, j’emprunterai bien volontiers les observations formulées par Jacqueline Jacques dans le cadre de son rapport réalisé au Sénat :

« Premièrement, une large partie de cette hausse, d’environ deux tiers, à périmètre constant par rapport au PLF pour 2022, est le fait d’une augmentation des prévisions du montant des compensations d’exonérations de cotisations sociales (+ 203M€), sachant que cette seule action représente pour 2023 plus de la moitié de l’enveloppe totale de la mission outre-mer.

Deuxièmement, à l’échelle de l’effort global en faveur des outre-mer, les documents fournis par le Gouvernement permettent de calculer une augmentation de l’enveloppe globale d’environ 3,9 % en AE (Autorisations d’Engagements) et 3,3 % en CP (Crédits de Paiements), ce qui tend à relativiser la forte hausse de la mission outre-mer.

Troisièmement, le Gouvernement émet une hypothèse d’inflation de 4,2 % pour l’année 2023.

Ainsi, l’augmentation en valeur des crédits alloués aux territoires ultra-marins est en réalité une baisse en volume 

Enfin et surtout, l’augmentation des crédits de la mission est à mettre en regard des besoins considérables des territoires ultra-marins, notamment en termes de logement, de conditions de vie ainsi que d’emploi et d’attractivité. »

Le budget s’inscrit certes dans une bonne dynamique mais nous ne saurions nous en réjouir car il ne répond ni à l’urgence sociale et économique que connait nos territoires, encore moins à nos problématiques structurelles.

Quels amendements déposés par vous ou d’autres, rejetés par la majorité, vous ont fait mal ?

À l’occasion de l’examen de la mission outre-mer du 28 octobre 2022, mes homologues ultramarins de la NUPES et moi-même avons porté, défendu et fait adopter pas moins d’une trentaine d’amendements, revoyant ainsi considérablement à la hausse le budget des Outre-mer 2023 qui nous était présenté dans ses dispositions initiales.

Ces amendements auraient permis d’engager plus de 200 M€ de dépenses indispensables pour notamment : garantir le droit à l’eau, le droit à un logement digne, mettre en place un fonds d’urgence sociale de lutte contre la vie chère, de créer des instituts régionaux d’administration dans les outre-mer et biens d’autre sujets.

Mais c’était sans compter sur le fait que le Gouvernement entendait faire usage du 49.3, lui permettant ainsi de ne retenir qu’une part infime des amendements votés pour environ 53M€.

Vous comprendrez donc par ici que plusieurs amendements qui nous tenaient à cœur ont été balayés d’un revers de main mettant à mal le dialogue parlementaire.

  • Amendements de La France Insoumise et du Rassemblement National sur la problématique de l’eau en Guadeloupe et plus généralement dans les outre-mer : Il s’agissait d’amendements très ambitieux à la fois en termes de moyens financiers qu’il convenait d’allouer pour résoudre les difficultés structurelles et conjoncturelles que nous connaissons actuellement (vétusté des réseaux d’eau et d’assainissement, problème de gouvernance etc.), d’objectifs et de philosophie.
  • Amendement II-CF53 & II-CF114 : Visant adapter le bouclier tarifaire à la situation des territoires d’outre-mer. À titre de rappel, le bouclier tarifaire tend à compenser la hausse des coûts d’approvisionnement de gaz naturel et d’électricité des entreprises particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.
  • Amendement II-CF120 : Aide au fret => Visant à adresser la problématique de la hausse du coût du fret en outre-mer, qui impacte conséquemment les prix à la consommation, compte tenu de la situation de crises multiples actuelles dans les territoires ultramarins par rapport à la cherté de la vie.

Conformément aux dispositions du bleu budgétaire Outre-mer, il est vrai que l’aide au fret n’a été doté que de 8,3 M€ en AE et 5,85M€ en CP pour l’ensemble des territoires d’outre-mer.

Bien que non négligeable, ces crédits ne semblent pas être à la hauteur des enjeux, ce d’autant plus que les crédits en CP obéissent à une trajectoire baissière par rapport aux crédits sanctuarisés dans la LFI22, soit -1,15M€.

Abonder le dispositif d’aide au frêt de 5M€ aurait permis de répondre plus efficacement à la hausse des coûts du frêt qui bien trop souvent se retrouve répercutée sur le consommateur final, à savoir les habitants des territoires d’outre-mer.

Le financement d’une telle mesure n’appelle pas d’observations particulières puisque les crédits alloués à l’action n°4 avaient connu une hausse significative de 17M€ en AE et de 13,2M€ en CP, par rapport à la LFI22.

  • Amendement II-CF121 : Visant à doubler à nouveau les crédits renforçant les actions de diversification agricole des territoires d’outre-mer, afin d’accélérer le processus d’augmentation de la production agricole locale à travers des incitations financières.

Cet amendement répondait à l’urgente nécessité d’adresser la question de la transition agricole et de la souveraineté alimentaire.

Les motivations avancées étaient claires et pertinents. Il n’y avait pas d’obstacles juridiques relevés en ce qui concerne le gage.

Pour autant, cet amendement n’a pas été retenu.

« Il faut avoir conscience que notre
pouvoir législatif connaît des limites »

Ne peut-on, entre élus de toutes sensibilités politiques s’entendre sur un budget qui a pour but de rattraper les retards sont souffrent les Outre-mer ?

Le budget est un acte qui par principe relève de l’initiative du Gouvernement.

À l’occasion des discussions budgétaires, nous, parlementaires, avons la possibilité d’amender ses dispositions initiales afin notamment d’en améliorer le contenu, de l’adapter aux besoins et spécificités réels des territoires d’outre-mer.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé à l’occasion de l’examen de la mission outre-mer lorsque nous avions réussi à faire adopter une trentaine d’amendements pour un montant supplémentaire de 200M€.

Toutefois, avec toute la bonne volonté qui peut nous caractériser, il faut avoir conscience que notre pouvoir législatif connaît des limites, particulièrement en période de discussion budgétaire où le Gouvernement dispose d’un pouvoir exorbitant du droit commun : le 49.3.

Ces limites sont avant tout d’ordre politique et se matérialisent via les votes des membres des groupes politiques siégeant à l’Assemblée nationale et au Sénat.

La réalité est telle que si vous ne partagez pas la même vision que le Gouvernement ou la même doctrine que vos homologues, les chances de succès de vos actions sont limitées mais pour autant pas compromis.

À nous (parlementaires) de trouver le moyen de convaincre de la nécessité d’adresser les problématiques ultramarines avec des moyens beaucoup plus ambitieux, en ce compris de rattraper les retards structurels dont souffrent les outre-mer.

Par ailleurs, il convient de préciser que d’autres initiatives en parallèle des actions parlementaires peuvent parfois être menées afin de tenter d’adresser les problématiques ultramarines.

À titre d’exemple, nous pouvons prendre le cas de l’Appel de Fort-de-France, qui je l’espère connaitra des débouchés concrets qui nous permettront d’avancer notamment sur ces questions d’importances capitales pour le développement économique de nos territoires.

Est-il sain que l’opposition de gauche pour des raisons de stratégie médiatique refusent de s’allier avec le RN le temps d’un vote si ce parti présente un texte intéressant ?

En ce qui me concerne, il est certain que je ne partage pas la doctrine du Rassemblement National sur bien nombres de sujets.

Pour autant, je considère que la fonction de député doit dépasser mes considérations personnelles pour laisser place à la défense de l’intérêt supérieur de la nation, de notre population locale.

Par conséquent, je me suis fait une raison qui place l’intérêt général au-dessus des positions dogmatiques.

En ce sens, toutes mesures qui permettront de faire avancer le territoire et le peuple guadeloupéen : Je voterai POUR.

« Une action collective autour du même objectif : régler la problématique de l’eau pour les usagers de la Guadeloupe »

Pour le dossier de l’eau, le gouvernement a mis des fonds et incité toutes les parties, SMGEAG, Etat, Région, Département autour d’une feuille de route. Commentaire ?

Une enveloppe exceptionnelle de 30 M€ a été budgétée afin d’accompagner le syndicat mixte en charge (SMGEAG).
Cette somme sera versée en contrepartie du respect d’engagements opérationnels, financiers et en matière de gouvernance.
Ces engagements seront inscrits dans un contrat et suivis dans le cadre d’une gouvernance à quatre, Conseil régional, Conseil départemental, SMGEAG, Etat.
Peut-on voir ainsi un échec collectif des décideurs locaux et de l’État avant d’en arriver là ? Donc, la solution doit nécessairement passer par une action collective autour du même objectif : régler la problématique de l’eau pour les usagers de la Guadeloupe.

Le ministre délégué semble satisfait du BQP+. Et vous ?

En date du 7 décembre 2022, le ministre délégué chargé des Outre-mer procédait à la restitution officielle des accords obtenus suite aux discussions menées entre l’État, les acteurs de la vie économique et les décideurs locaux, sur la thématique du pouvoir d’achat des ultramarins.

À cette occasion, il a été présenté une série de mesures parmi lesquelles :

  • L’engagement de grands distributeurs à ce que les produits vendus à destination de l’outre-mer le soient au même prix que celui de la métropole, hors coût du frêt ;
  • Le doublement de la franchise douanière portant jusqu’à 405€ les colis envoyés à destination des outre-mer ;
  • Ou encore l’élargissement du périmètre du BQP+ à d’autres secteurs que l’alimentaire, tels que la téléphonie, les services à l’automobile voire le bricolage ;

S’agissant de cette dernière mesure, selon moi, elle s’inscrit dans une bonne dynamique.

Pour autant, elle ne suffira certainement pas à adresser sérieusement la problématique de la vie chère sur nos territoires.

Nous devons poursuivre et accentuer nos travaux de réflexions pour in fine adopter des mesures beaucoup plus en adéquation avec les enjeux sous-jacents à la cherté de la vie dans les outre-mer.

En Martinique, Serge Letchimy et la CTM demandent à l’Etat la compétence sur les ressources naturelles et génétiques. Et ne Guadeloupe ?

La transition environnementale qui inclut celle de l’énergie, en plus d’être une nécessité, constitue une formidable opportunité de développement économique pour les départements et collectivités d’outre-mer.

Pour en bénéficier pleinement, il me semble important que nous soyons pleinement inclus dans la maitrise de ces compétences.

Mais, il s’agit là d’une réflexion qui mérite d’être portée par l’ensemble des décideurs locaux en prenant en considération les avantages et inconvénients d’un tel transfert de compétences.

« Tout changement de domiciliation du pouvoir
ne peut s’envisager de façon brutale »

On en vient au débat du moment, du moins pour les élus des Régions françaises d’Amérique : statut à la carte pour la Guyane, statut donnant plus d’autonomie pour la Martinique, coproduction entre l’Etat et les deux grandes collectivités pour la Guadeloupe. Quelle démarche aurait votre préférence ?

En toute honnêteté, je me réserve un délai de réflexion qui sera certainement enrichi par les débats à venir avant de forger mon opinion sur la question.

Néanmoins, chose certaine : je serai pour le statut qui, d’une part, permettra une meilleure prise en compte des spécificités de notre territoire, et d’autre part, qui défendra le droit à la différenciation dans les outre-mer.

Les Guadeloupéens sont-ils prêts à entendre le mot autonomie ?

En homme démocrate et progressiste que je suis, je dirai que seul le peuple est en mesure de répondre à cette question.

Consultation populaire ? Référendum ? nous disposons de nombreux outils qui nous permettent de recueillir l’avis des Guadeloupéens en la matière.

À nous élus, si l’opportunité se présente, de faire preuve de pédagogie (avantages et inconvénients), d’aller à la rencontre des concitoyens et par-dessus tout de leur demander leur avis sur la question statutaire de la Guadeloupe.

Il s’agit d’avoir un fonctionnement horizontal et non vertical, c’est-à-dire intégrer les Guadeloupéens et les Guadeloupéennes dans les processus qui les touchent. Donc il ne s’agit pas de savoir s’ils sont prêts ou pas prêts, il s’agit surtout qu’ils participent à une construction future statutaire concernant la Guadeloupe. La crise démocratique que nous traversons avec des taux d’abstention absolument hallucinant, s’explique par cette verticalité. Dont Macron est un archétype ! Enfin, tout changement de domiciliation du pouvoir ne peut s’envisager de façon brutale, il peut y avoir aussi plusieurs étapes dans le temps : commencer par de la co-construction, puis après un feed-back au bout de quelques années, avancer dans le processus d’autonomie.

Dans une démocratie participative et représentative, les élus sont les porte-paroles, les relais, les représentants du peuple ! C’est ainsi que je conçois l’exercice de la politique au sens noble du terme : servir son peuple.

Revenons au budget ! La CRC se voit autorisée à évaluer les politiques publiques locales. Un nouveau rôle qui est critiqué par des élus. Que faut-il en penser ?

J’ai pris connaissance du décret en la matière.

Il est vrai que, dans ces termes, il renforce les pouvoirs de la CRC en lui permettant notamment de s’autosaisir pour évaluer les politiques publiques relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion.

Il ressort de ma lecture du texte que, dans le cadre de toute saisine, la chambre est chargée d’établir un rapport d’évaluation dans lequel elle apprécie, notamment, les résultats et les impacts de la politique publique ainsi que les facteurs qui les expliquent.

L’appréciation porte notamment sur la cohérence, l’efficacité et l’efficience de la politique publique concernée.

Si de facto, elle semble constituer une ingérence dans l’administration des collectivités locales, j’aurai tendance à penser que cette faculté d’auto-saisine présente également des avantages.

À titre d’exemple :

  • Ces rapports peuvent constituer des outils de gestion sur lesquels pourraient se reposer les élus afin de décliner leur(s) politique(s) publique(s) ;
  • Ces rapports, si tant est qu’ils seraient accessibles à tous publics, sont de nature à renseigner et informer la population sur l’efficacité, la cohérence et l’efficience des politiques publiques menées par leur(s) dirigeant(s) politique(s), ce qui constitue en premier lieu un gage de transparence ;

Vous l’aurez compris, en l’absence de contrainte, à titre personnel, je considère que cette ingérence n’en est pas véritablement une ipso facto et ne saurait réellement porter atteinte au principe de la libre administration des collectivités locales.

Toutefois, je ne peux que regretter que le Gouvernement ait attendu de prendre un décret afin de préciser l’étendu réel des pouvoirs qu’il entendait conférer à la CRC alors que ceux-ci auraient pu être débattus au Parlement à l’occasion des discussions parlementaires relatives à la loi 3DS.

Entretien : André-Jean VIDAL

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