Tribune. Une révision de la Constitution pour garantir l’impartialité de la nomination et de la discipline des magistrats du ministère public

PAR LA CONFÉRENCE NATIONALE DES PROCUREURS DE LA RÉPUBLIQUE

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir. »
MONTESQUIEU, L’Esprit des Lois (1748)

Le 24 novembre 2023, l’assemblée générale de la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) a adopté – à l’unanimité – une motion demandant que soit soumise au Congrès la réforme constitutionnelle visant à renforcer l’indépendance des magistrats du ministère public vis-à-vis du pouvoir exécutif en ce qui concerne leur mode de nomination et leur procédure disciplinaire.

Encore très récemment, une résolution du Conseil de l’Europe en date du 10 octobre 2023 incite la France à « procéder aux réformes constitutionnelles et législatives nécessaires pour aligner la procédure de nomination des procureurs ainsi que la procédure disciplinaire applicable aux membres du ministère public sur la procédure applicable aux juges ».

Or, cette réforme fait consensus depuis de nombreuses années en France puisque l’Assemblée nationale et le Sénat ont déjà adopté en 2016 la modification de l’article 65 de la Constitution dans les termes suivants :

« Les magistrats du parquet sont nommés sur l’avis conforme de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet » ;

« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet. »

Toutefois, la procédure de modification de la Constitution n’est pas allée jusqu’à son terme, le Parlement n’ayant pas été réuni en Congrès pour adopter définitivement cette réforme.

Le 3 juillet 2017, le Président de la République Emmanuel Macron, nouvellement élu, annonçait très officiellement son intention de conduire cette réforme à son terme en déclarant devant le Parlement réuni en Congrès : « Faire vivre la responsabilité partout dans nos institutions, c’est aussi assurer l’indépendance pleine et entière de la justice. C’est une ambition qui doit demeurer, malgré les impasses et les demi-échecs rencontrés dans le passé. Je souhaite à cette fin que nous accomplissions enfin cette séparation de l’exécutif et du judiciaire, en renforçant le rôle du Conseil supérieur de la magistrature et en limitant l’intervention de l’exécutif dans les nominations des magistrats du Parquet. A tout le moins, ce Conseil devrait donner un avis conforme pour toutes les nominations de ces magistrats. »

Par la suite, la même réforme était présentée par le Gouvernement au Parlement le 9 mai 2018 (projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace »), puis de nouveau le 29 août 2019 (projet de loi constitutionnelle « pour un renouveau de la vie démocratique »), mais là encore, sans aller au terme du processus législatif.

Or, cette réforme est indispensable car les magistrats du parquet sont plus que jamais au cœur des enquêtes et de la justice pénale, dirigeant seuls plus de 99% des enquêtes pénales, dans le but de recherche la vérité, et à l’issue desquelles ils décident d’exercer ou non des poursuites. Aujourd’hui en France, seules 16 % des procédures pénales sont examinées par un juge.

Compte tenu de cette place centrale confiée aux procureurs de la République, l’impartialité de la Justice passe donc nécessairement par l’impartialité du ministère public, corollaire indispensable de la mission constitutionnelle de gardien des libertés individuelles attribuée aux magistrats du parquet.

Depuis la loi du 9 mars 2004 complétée par celle du 25 juillet 2013, la loi interdit déjà au pouvoir exécutif de donner des instructions individuelles aux procureurs de la République dans le cadre des enquêtes et des poursuites.

Il est nécessaire d’apporter une garantie démocratique supplémentaire en renforçant la séparation des pouvoirs pour que, quels que soient les gouvernements, la Justice soit préservée de tout risque de politisation dans la nomination et dans le processus disciplinaire des magistrats du parquet, en particulier des procureurs de la République.

Cette réforme n’aurait aucune incidence sur le principe de fonctionnement hiérarchisé du parquet, sous l’autorité du ministre de la Justice, le ministère public demeurant le fer de lance de la politique pénale générale décidée par le Gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, et veillant à l’homogénéité de la réponse pénale sur le territoire national.

Tout risque de corporatisme serait également écarté dans la mesure où le Conseil supérieur de la magistrature est composé de membres dont plus de la moitié ne sont pas des magistrats.

Enfin, cette évolution statutaire permettrait à la France de se conformer davantage aux standards européens en apportant des garanties supplémentaires d’indépendance des procureurs français dans leur mode de nomination.

  • Texte intégral de la motion adoptée – à l’unanimité – par les procureurs
    de la République réunis en assemblée générale le 24 novembre 2023

Constatant qu’en 2022, les parquets des 164 tribunaux judiciaires français, composés des procureurs de la République et de leurs équipes, dirigent seuls plus de 99% des enquêtes pénales diligentées par la police et la gendarmerie nationales, avant de décider des suites judiciaires (classement sans suite, alternative aux poursuites ou saisine d’un juge) ;

Rappelant que cette recherche de la vérité et le choix des réponses pénales adaptées à chaque situation individuelle sont soumis au principe d’impartialité que doit respecter tout magistrat du parquet, conformément aux exigences du code de procédure pénale ;

Soulignant que le Conseil constitutionnel a régulièrement affirmé depuis 1993 que les magistrats du parquet étaient constitutionnellement des magistrats à part entière ;

Regrettant que les actuelles conditions de nominations des procureurs de la République comme les poursuites disciplinaires à leur encontre, laissées à l’appréciation du pouvoir politique, entachent l’apparence d’impartialité du ministère public, pourtant affirmée par la loi ;

Se fondant sur un large consensus depuis des décennies, encore rappelé par l’actuel Président de la République lors de son allocution du 3 juillet 2017 devant le Congrès, sur la nécessité « d’accomplir enfin cette séparation de l’exécutif et du judiciaire » ;

Se prévalant notamment de la récente résolution du Conseil de l’Europe du 10 octobre 2023 incitant la France à « procéder aux réformes constitutionnelles et législatives nécessaires pour aligner la procédure de nomination des procureurs ainsi que la procédure disciplinaire applicable aux membres du ministère public sur la procédure applicable aux juges » ;

Les procureurs de la République réunis en assemblée générale le 24 novembre 2023 appellent à l’adoption, dès que possible, par le Congrès, du projet de loi constitutionnelle en date du 29 août 2019 ainsi rédigé :

« L’article 65 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le cinquième alinéa est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :

« Les magistrats du parquet sont nommés sur l’avis conforme de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet. » ;

2° La première phrase du septième alinéa est remplacée par une phrase ainsi rédigée :

« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet. »

De la sorte, tout en maintenant le principe selon lequel les politiques publiques de la justice, dont la politique pénale, relèvent du Gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, les magistrats du parquet verront leur indépendance et leur impartialité institutionnellement renforcées, permettant ainsi d’améliorer la confiance de nos concitoyens dans le fonctionnement de la Justice.

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​