Opinion. Poussée de l’extrême-droite lors des prochaines élections européennes en Guadeloupe : à qui la faute ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

La montée probable de l’extrême-droite en Guadeloupe soulève des interrogations profondes quant à ses causes et aux responsabilités qui en découlent.

Alors que la situation budgétaire préoccupe depuis quelques temps avec un déficit en hausse, une dette élevée et une note AA de la France sur le point d’être dégradée par les agences de notations, les conséquences des prochaines orientations budgétaires et de la dégradation économiques pourraient avoir un impact majeur lors des prochaines élections européennes.

Certains sonnent déjà l’alarme face à ces dérives populistes qui mettent en danger notre système économique et social et, plus largement, l’avenir de notre société.

En dépit des précautions oratoires du ministre de l’économie Bruno le Maire indiquant que les Français seraient relativement épargnés et que l’effort ne concernerait que les dépenses de l’Etat et des collectivités locales, cette nouvelle contraction annoncée du budget va toucher significativement les personnes les plus vulnérables qui n’ont pas d’autre choix que de vivre des maigres revenus de leur travail ou des transferts sociaux, mais aussi le fonctionnement de nos services publics garants de la cohésion sociale et du bien-vivre ensemble.

Ce mouvement, qui n’est que l’amorce d’autres perspectives de restrictions budgétaires encore plus massives dans les 2 prochaines années, ne peut nous laisser sans réaction.

Au-delà de l’exercice convenu d’une indignation attendue émanant de ceux qui sont les porte-voix des plus fragilisés et trop souvent renvoyés à leur humanité coupée des contraintes économiques, nous voulons nourrir le débat public et faire émerger d’autres constats partagés susceptibles de peser sur les évolutions en cours.

En effet, les Guadeloupéens ressentent confusément dans leurs tréfonds une peur au demeurant certainement irrationnelle mais très réelle de la fin de l’État providence avec les nouvelles difficultés de financement du modèle social français.

Et d’ailleurs cette peur risque bien de transparaître prochainement dans les urnes que ce soit à l’occasion des élections européennes mais aussi législatives en cas de dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron.

L’Histoire au moins au niveau de la trajectoire électorale pourrait avoir une fâcheuse tendance à se répéter. Le Rassemblement national est très largement en tête dans les sondages nationaux pour les élections européennes.

Et un responsable de ce mouvement indique d’entrée de jeu l’ambition forte du Rassemblement national.

« Le RN est le parti ascendant en Outre-mer et je pense que, prochainement, il sera la force politique principale à L’île de la Réunion. »

L’eurodéputé en question qui a grandi à La Réunion assure : « Lors des prochaines élections, nous aurons de nombreux élus dans les mairies, au Département et à la Région. »

Et Force est de constater que c’est l’appréhension de l’avenir qui taraude la population réunionnaise et la force de l’assistanat dans ce département n’y est pas étrangère. Nonobstant les craintes de beaucoup de responsables politiques traditionnels d’Outre-mer, il semblerait évident que les populations d’Outre-mer, à l’instar de la Guadeloupe, ont des bonnes raisons d’être préoccupées par la fin de l’État providence, car les crises de la dette, les déficits budgétaires et les mesures d’austérité qui en découlent menacent directement leur bien-être et leur sécurité économique.

Voici quelques raisons pour lesquelles cette crainte est légitime :

– Une dépendance accrue envers l’État providence : les populations d’Outre-mer dépendent souvent davantage des services publics et des transferts sociaux pour répondre à leurs besoins essentiels, tels que la santé, l’éducation et le logement. La réduction de la dépense publique et les coupes budgétaires dans la dépense sociale pourraient compromettre l’accès à ces services vitaux.

– Une grande vulnérabilité économique : les économies des territoires d’Outre-mer sont souvent fragiles et dépendent fortement des subventions de la France et de l’Europe et des programmes gouvernementaux telles que les dotations aux collectivités locales. Une réduction de ces financements pourrait aggraver la situation économique déjà précaire de ces régions, entraînant une augmentation du chômage, de la pauvreté et de l’instabilité sociale.

 – Une prégnance des inégalités sociales et économiques :  les coupes budgétaires dans la dépense sociale risquent d’accroître les inégalités sociales et économiques déjà présentes dans les territoires d’Outre-mer. Les populations les plus vulnérables, telles que les travailleurs précaires, les personnes âgées bénéficiaires de petites retraites et les familles monoparentales à faible revenu, pourraient être les plus durement touchées par ces mesures d’austérité.

– Un impact positif sur le tissu social : l’État providence joue un rôle essentiel dans la cohésion sociale et le bien-être des communautés d’Outre-mer. La diminution des services sociaux et des filets de sécurité pourrait fragiliser le tissu social et entraîner une augmentation des tensions sociales, des troubles civils et même des conflits.

En bref, la peur de la fin de l’État providence semble justifiée pour les populations d’Outre-mer, car elle représente une menace directe pour leur sécurité économique, leur bien-être social et leur stabilité communautaire.

Il est crucial que les élus locaux et le gouvernement prennent en compte ces préoccupations et travaillent à trouver des solutions qui préservent les acquis sociaux et protègent les populations les plus vulnérables. Mais qu’on le veuille ou non, l’illusion n’est plus de mise aujourd’hui et tout cela devrait obligatoirement passer par la réforme du modèle économique et social actuel.

De plus, c’est surtout l’erreur de perspective économique des élus locaux qui est en cause dans la peur également ressentie par les Guadeloupéens, et la première erreur réside dans une volonté de la confusion régnante dans le processus de changement des institutions qui est devenue incompréhensible à la population.

Trop souvent, les causes de cette montée en puissance de la peur sont externalisées, reléguant ainsi l’analyse rationnelle de la poussée de l’extrême-droite au second plan. Pour les intellectuels et élus de la Guadeloupe la responsabilité incombe à des facteurs économiques, politiques ou sociaux inhérents à la politique gouvernementale, plutôt que de reconnaître la capacité intrinsèque du Rassemblement National à séduire par lui-même les électeurs du pays Guadeloupe en raison d’un discours populiste et démagogique.

La deuxième responsabilité incombe à la mutation de la société et à la crise inflationniste qui aggrave la vie chère en Guadeloupe. La robotisation et l’intelligence artificielle redéfinissent profondément les fondements de notre société, entraînant des changements majeurs sur le marché du travail et dans la vie quotidienne avec l’exil des jeunes et la baisse du pouvoir d’achat des résidents.

Les crises économiques incitent souvent à l’apparition de colères et de frustrations notamment à cause des réformes impopulaires pourtant indispensables, mais également de façon plus confuse du fait de l’innovation et à l’adaptation difficile de certains publics qui se sentent déclassés, mais dans ce cas-ci, les personnes en question semblent nourrir un sentiment de méfiance à l’égard du pouvoir et de repli identitaire.

Malgré les tentatives des gouvernements successifs et les diverses stratégies politiques déployées, la progression du parti lepéniste semble incontrôlable en Guadeloupe. Cela témoigne d’une sous-estimation généralisée de la capacité de l’extrême-droite à se développer à partir de ses propres valeurs et convictions en dehors de la problématique purement de l’immigration.

En effet, le Rassemblement national a depuis quelques années investi le champ du social et supplanté la gauche dans la défense des déshérités, aussi peu de gens qui sont dans le brouillard sont vraiment capables de comprendre les ressorts de l’idéologie nationaliste et racialiste d’extrême droite du rassemblement national en dehors de la question migratoire qui n’explique pas cependant pas tout. Ainsi alors qu’en France hexagonale les 18 à 45 ans votent majoritairement pour le Rassemblement national, c’est le contraire en Guadeloupe où ce sont les tranches d’âge parmi les plus âgées qui votent pour le Rassemblement national.

L’on peut de ce fait avancer plusieurs raisons dont l’une tient au sentiment de déclassement d’une fraction importante de la population. L’évolution actuelle où l’expérience professionnelle et politique traditionnelle n’est plus nécessairement considérée comme une valeur sûre pour les vétérans de la politique et les diplômés de l’enseignement supérieur, reflète un changement profond dans la manière dont les compétences et les contributions sont évaluées.

L’avenir semble être axé sur une combinaison de compétences, d’adaptabilité et d’innovation, d’où une perte de repères pour les personnes d’âge mûr. Les compétences polyvalentes, telles que la pensée critique, la résolution de problèmes et la communication efficace, deviennent de plus en plus importantes. Les employeurs et les électeurs recherchent des individus capables de s’adapter à différents contextes et de contribuer de manière significative dans des domaines variés.

L’avenir réserve aux professionnels et aux politiciens la nécessité d’être agiles et adaptables face aux changements rapides de la société et de l’économie. Être capable de pivoter rapidement, d’apprendre de nouvelles compétences et de s’adapter à de nouvelles technologies sera essentiel pour prospérer.

L’innovation et la créativité deviennent des atouts précieux dans tous les domaines, que ce soit en politique, en entreprise ou ailleurs. Les individus capables de penser de manière innovante et de proposer des solutions nouvelles et créatives aux défis actuels auront un avantage sur leurs pairs. L’ouverture d’esprit, la capacité à écouter et à intégrer différentes perspectives comme le codage seront des compétences essentielles pour construire des solutions efficaces et inclusives dans l’entreprise ou l’administration.

En somme, l’avenir semble être axé sur des compétences transversales, une adaptabilité et une capacité à innover. Les individus en butte à l’illettrisme et surtout demain à l’illectronisme qui ne peuvent maîtriser ces compétences n’auront aucune chance de réussir et de prospérer dans un paysage professionnel et politique en constante évolution.

Ils n’auront d’autres choix que la perception d’un revenu universel de base d’environ 800 euros pour subsister dans la vie. C’est cela qui nourrit le vote du Rassemblement national. Alors, pour véritablement contrer l’extrême-droite, il est crucial de comprendre les valeurs qui la sous-tendent. Au cœur de cette idéologie se trouve une identité fracturée par l’immigration, un désir profond du changement de la société française et une valorisation de l’identité fixe, alimentant ainsi une volonté de préservation des acquis sociaux, un repli identitaire sur le passé et une résistance au progrès technologique.

C’est cette confusion des genres qui empêche une contre-offensive intellectuelle et politique du côté des intellectuels et élus traditionnels de gauche comme de droite.

Plutôt que de continuer à chercher des explications externes, il est temps d’identifier les raisons profondes du vote Rassemblement national en Guadeloupe qui se prêtant être un adversaire direct de l’économie libérale et ce avant que de vouloir mettre en place une véritable contre-offensive intellectuelle et politique qui d’ailleurs dans les conditions actuelles est voué à l’échec comme en son temps la stratégie de diabolisation du Front national.

En réalité la poussée de l’extrême-droite en Guadeloupe est d’origines diverses mais surtout provenant d’un malaise économique et social et non résultant d’un ordre idéologique nationaliste et souverainiste. Cela implique pour certains de s’attaquer aux fondements mêmes de l’idéologie nationaliste et racialiste du Rassemblement national, donc par là même de promouvoir un universalisme , un humanisme et une politique visionnaire capable de faire face aux défis contemporains.

En somme, la montée de l’extrême-droite en Guadeloupe peut être réduite à des facteurs internes tels que la crise inflationniste, économique, financière et sociale et surtout du fait des graves dangers et inconvénients de la mutation technologique avec l’intelligence artificielle ainsi que les probabilités de dégâts de la théorie de la destruction créatrice de l’économiste Joseph Schumpeter.

Il est impératif de reconnaître le rôle actif de cette dernière dans la percée du Rassemblement National et de s’engager pour les plus téméraires non seulement dans une lutte idéologique et politique pour contrer efficacement cette tendance, mais surtout miser sur un changement de paradigme économique et pour ce faire promouvoir au plus vite l’émergence d’un nouveau modèle économique et social en Guadeloupe. Encore faut-il pour ça avoir des marges de manœuvre, ce dont la Guadeloupe  dispose heureusement encore avec la demande d’une habilitation générale pour faire des lois pays dans le cadre du droit commun de l’article 73 de la constitution…

« Sa ki  bon pou zwa pa bon pou kanna. »

– traduction littérale :  Ce qui est bon pour l’oie n’est pas bon pour le canard.

– moralité : Il ne faut pas suivre autrui !

*Economiste

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