Dr Gladys M. Francis livre un témoignage puissant pour panser nos maux

Musique, poésie, mouvements du corps, performance picturale ont élégamment habillé la soirée Au cœur de l’intime, portée par les textes percutants et engagés du Dr Gladys Francis.

Ce soir-là, il y avait foule à la salle Robert-Loyson (Le Moule). Habituellement fermé le lundi, l’espace a accueilli des gens d’ici et d’ailleurs, venus parfois de très loin, pour répondre à l’invitation du Dr Gladys Francis.

Le parcours de la Guadeloupéenne ­- ex-vice doyenne de l’université d’Howard (Washington), professeure de l’université de Sacramento (Californie), membre du Conseil scientifique du MACTe, professeure distinguée en sciences humaines -, impose le respect. Construite à force de travail, sa flamboyante réussite tord le cou au déterminisme social en brisant le plafond de verre.

Viscéralement attachée à « sa Guadeloupe qu’elle aime » avec ses maux, ses merveilles – et sa complexité aussi -, Gladys M. Francis ne pouvait continuer à taire les silences, les blessures, y compris les siennes, la violence qui continue de faire son nid en Guadeloupe, les relations conjugales parfois tumultueuses jusqu’au drame, les enfants, otages de parents qui se font la guerre, quand ils ne sont pas éduqués par la rue…

« Tous ces traumas me poussent à parler »

« Tous les « chut » que j’ai dû mettre dans ma poche, tous les manquements, tous les vides… me portent, a-t-elle expliqué lors d’un échange avec Brigitte Zabarel. Les récits des hommes, des femmes, des enfants… Tous ces traumas me poussent à parler. »

Ce soir-là, sans savoir ce qui l’attendait en prenant place dans la salle Robert-Loyson, chacun s’est retrouvé tantôt face à lui-même, tantôt face à l’image d’une Guadeloupe écornée par des faits de violence, tantôt face au parcours de vie de personnes qui lui sont proches. Pendant plus de trois heures de « ce qui n’était pas un spectacle », mais « une conviction, un cri qui ne veut pas mourir », selon Gladys Francis, chacun a été touché.

Ce soir-là, Au cœur de l’intime, le Dr Gladys Francis a mis des mots sur les silences, a mis le doigt sur les plaies parfois secrètes… entre musique (soul, blues, zouk, gwoka, mizik a mas…, que Gladys Francis affectionne), mouvements des corps et poésie.

En référence à la chanson Bag Lady d’Erykah Badu, Gladys Francis a rendu hommage aux « Bag Ladies », présentes dans la salle, invitées à la rejoindre sur scène. « La Bag Lady que je suis est une femme sans pardon, commente le Dr Francis. La femme Djòk n’est pas une femme amère : elle est lucide. Elle ne se lisse plus pour rassurer. Elle ne ploie plus pour passer : elle marche avec tout ce qu’il reste d’elle et parfois avec tout ce qu’on a voulu lui arracher. »

Une soirée gratuite, de qualité, à l’effet cathartique, que de nombreux artistes, proches et bénévoles (François Ladrezeau, Michel Mado, les Donz’El, Pok…, son oncle et complice musical, Erick Bobi…) ont enrichi de leur talent. Un moment Au cœur de l’intime, pour penser – et panser – nos maux, pour grandir et avancer collectivement.

Cécilia Larney

Verbatim

Extraits de la soirée Au cœur du l’intime, du Dr Gladys Francis.

Bag Lady

« Erykah Badu invite à se débarrasser de ces choses lourdes qu’on porte émotionnellement, physiquement, spirituellement dans notre quotidien, commente Gladys Francis. Des lourdeurs que nous, femmes, nous transportons dans nos sacs en tissu, nos cabas… à courir, à rater nos bus, à rater nos buts…, à prendre du retard dans nos aspirations, nos désirs, à nous porter, à porter nos partenaires, nos enfants, nos souffrances et celles des autres.

Vous n’êtes pas seules !

Ces bagages que vous portez, je les porte moi aussi…, à me demander si les douleurs méprisées ne finissent pas par faire taire nos désirs.

Si on doit vraiment mériter l’écoute pour exister.

Si, survivre suffit à se dire vivante.

Ces souffrances sociétales, ces charges qui ne figurent sur aucun manifeste, nous les portons.

Et, ce soir, peut-être, nous pourrons en déposer un. »

« Femmes sous pression, masculinités en tension »

« On leur dit qu’un homme doit être fort

Mais on oublie de leur dire qu’un garçon qui pleure est un garçon qui respire.

On ne leur dit pas que pleurer est un droit, qu’un garçon qui pleure est un garçon qui ressent, qu’un garçon qui ressent peut… choisir, plutôt que réagir, peut poser ses armes avant d’en avoir besoin.

On leur répète d’être « forts », mais on oublie de leur dire qu’un coup de poing n’a jamais prouvé la force.

Il prouve juste la colère qu’on n’a pas su dire autrement.

Il n’y a pas que les femmes sous pression : il y a des masculinités en tension.

(…)

Ce n’est pas la gendarmerie qui apprend à respirer un garçon qui étouffe déjà à l’intérieur et qui devient un homme en apnée.

Ici, les rues parlent fort : braquage, argent rapide, fierté en solde. Les rues enseignent plus vite que l’école et parfois, elles bercent comme des pièges.

Les cris éduquent mieux que les profs. (…)

Quand t’as mal et que personne ne t’écoute, les armes deviennent des phrases

Et les phrases deviennent des gestes

Et les gestes, des drames. »

Merci aux papas qui tiennent la main

« Quand on n’a jamais dit à un petit garçon qu’il a le droit d’avoir mal, qu’il a le droit de le dire sans honte, alors le silence l’empêche de respirer et, un jour, il explose.

Et pourtant, il y a des hommes « debout », pas parfaits, pas saints, pas magiques, mais là, présents.

Des pères qui versent le jus le matin et ramassent les silences, la nuit.

Des frères qui veillent sans bruit.

Des hommes qui tiennent la main, pas la laisse.

Des oncles, des parrains, des grands-pères qui disent : « Tu n’as pas à cogner pour exister ».

Des hommes qui ont compris qu’un enfant n’a pas besoin d’un mur, mais d’un refuge.

Il faut les célébrer. Pas pour flatter l’exception, mais pour offrir un exemple, parce que l’absence fait du bruit, mais la présence, elle, change des destins.

Merci à vous les pères qui tenez la main.

Ceux qui écoutent quand ça déborde

Ceux qui n’ont pas peur des larmes, des mots et des silences.

Merci aux papas sans photo, sans médaille, mais positivement présents.

Merci pour chaque geste simple fait mille fois, pour chaque : « Je suis là » qui remplace le : « Sois fort ».

Merci à ceux qui reviennent, à ceux qui restent, à ceux qui apprennent à aimer autrement (…)

Merci à vous qui construisez des fils qui ne coupent pas de racines. Merci pour chaque matin sans témoin, pour chaque : « Ça va aller », chuchoté sans gloire.

Votre présence est une réparation. Votre amour est un avenir. »

Respecter la mère de ses enfants

« Respecter la mère de ses enfants, même quand l’histoire est finie.

Ne pas salir ce qu’on a construit, juste parce qu’on a mal

Parler sans blesser

Répondre sans humilier, travailler ensemble

Même à distance, même à contre-cœur, parce qu’élever un enfant, c’est plus grand qu’un ego.

Se dire : « Je ne t’aime plus, peut-être, mais je te respecte encore » et faire place à une forme de lien. Pas amoureux, mais solide. Pas passionné, mais digne.

Et, à vous aussi, les femmes : ne pas cultiver l’amertume, ne pas faire des enfants un champ de bataille,

Apprendre ensemble à inventer autre chose. Pas pour soi, mais pour eux, nos enfants

Pour qu’ils sachent que l’amour peut s’effacer sans devenir Guerre

Parce qu’élever un enfant, ce n’est pas rejouer la guerre.

C’est choisir la paix chaque jour, même quand le cœur fatigue. (…)

Merci à ceux qui parlent sans blesser et qui construisent sans posséder. »

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