Opinion. Le « quoi qu’il en coûte » masque-t-il  la paupérisation accélérée de la classe moyenne aux Antilles ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Les récents troubles en Guadeloupe ont braqué les projecteurs sur les tensions grandissantes entre les planteurs de canne et les autorités, révélant ainsi les enjeux cruciaux concernant l’avenir de la classe moyenne dans l’île. Alors qu’un accord a finalement été conclu après des semaines de blocages et de négociations tendues, la question demeure sur le rôle de l’État et des collectivités qui ont, quoiqu’on en pense, acheté la paix. Mais, à quel prix ?

D’une part, cet accord a permis de mettre fin aux blocages menaçant la campagne sucrière, mais d’autre part, il soulève des préoccupations majeures quant à la précarité croissante des planteurs de canne et de la paupérisation de la classe moyenne en général. Avec plus de 2 millions d’euros mobilisés, dont près d’un million provenant des institutions régionales et départementales, se pose la question de la viabilité économique et financière de l’industrie sucrière en Guadeloupe.

Les planteurs de canne, souvent des petits et moyens entrepreneurs ou d’anciens salariés devenus agriculteurs lors des réformes foncières, représentent un petit symbole de la classe moyenne dans l’île. Cependant, leur situation précaire reflète les défis économiques croissants auxquels sont confrontées en général les classes moyennes guadeloupéennes.

En réalité, la société guadeloupéenne est en train de traverser la fin d’un cycle économique et cherche désespérément des voies pour se réinventer. Les décennies passées ont vu une montée progressive des problèmes sociaux touchant toutes les couches de la population, des plus défavorisées aux classes moyennes salariées et aux chefs d’entreprises voire entrepreneurs intermédiaires.

Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus large de transformation économique et sociale, marqué par une surconsommation, une augmentation du coût de la vie, une précarisation croissante de l’emploi et l’exil des jeunes.

Le constat est clair : les classes moyennes guadeloupéennes sont confrontées à un défi monumental pour maintenir leur niveau de vie et leur statut social dans un environnement économique de plus en plus hostile.

La société de consommation héritée de la départementalisation, longtemps vecteur d’intégration sociale et de progrès pour les classes moyennes, montre désormais ses limites. L’augmentation des prix et l’inflation rendent certains biens et services inaccessibles, creusant ainsi les inégalités sociales et économiques.

Cette situation soulève également des interrogations sur le rôle des politiques. Si autrefois, ils disposaient d’une « boîte à cash » conséquente pour accompagner les changements économiques et sociaux, aujourd’hui, cette ressource est épuisée. 

La dette, qui était autrefois un investissement pour les générations futures, est maintenant un fardeau qui compromet l’avenir des classes moyennes.

La moyennisation de la société guadeloupéenne et martiniquaise semble toucher à sa fin, avec des conséquences désastreuses pour les classes moyennes. Autrefois, l’accès à un niveau de vie décent était envisageable pour de nombreuses familles, mais aujourd’hui, même en travaillant dur, bon nombre de Guadeloupéens se retrouvent dans une situation de précarité.

Et les choses promettent de s’aggraver dans la décennie actuelle avec la mutation de la société induit par la 4e révolution industrielle du numérique et de l’intelligence artificielle. Face à cette réalité alarmante, la mobilisation autour de l’urgence climatique et de la transition écologique et énergétique pourrait offrir une lueur d’espoir.

En anticipant les conséquences de la mutation sociologique et en repensant notre modèle économique vers plus de durabilité et d’équité, nous pourrions recréer du lien social et restaurer la confiance entre les différentes couches de la population.

Cependant, pour que cette transition soit réussie, des mesures audacieuses et concertées doivent être prises, impliquant l’ensemble de la société antillaise, et le tout sans prise de risques inconsidérés d’ordre institutionnelle, du moins pour l’instant. La stratégie est simple : Faire le dos rond et laisser passer la tempête.  

Les responsables politiques doivent intégrer les nouvelles menaces et prendre en compte la dégradation inéluctable de la situation économique et sociale ainsi que la fin de l’ère de l’argent « magique » dans les années à venir.

La réduction de la pression fiscale locale, la promotion de l’emploi durable et la protection de l’environnement doivent être au cœur des politiques publiques. Et pour cause, les récents événements en Guadeloupe mettent en lumière les défis urgents auxquels est confrontée la classe moyenne. Face à une économie en crise et à des inégalités croissantes, il est impératif de repenser notre modèle de développement et de travailler ensemble vers une société plus juste et plus durable.

 « Atansyon pa kapon »

Traduction : Faire attention n’est pas être froussard. 

Moralité : La prudence n’est pas la lâcheté.

*Economiste

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