Quitter Port-au-Prince à tout prix

Pour se mettre à l’abri des exactions des gangs armés, des milliers d’habitants fuient quotidiennement la capitale haïtienne. Entrepreneurs, ouvriers, écoliers, professeurs, hommes de loi, détaillants, transporteurs publics, pour toutes les catégories sociales, c’est l’heure du sauve-qui-peut.

Laissant tout derrière eux, la grande majorité des gens rencontrés par le journal ne savent pas de quoi leur vie en province sera faite. Ils se lancent dans une aventure incertaine.

Dans les coins devenus gares routières et dans les stations privées des compagnies d’autocars, les gens font la queue à longueur de journée. Ils cherchent tous un billet pour quitter la capitale. Si certains vont attendre le temps d’une accalmie, d’autres, à les entendre parler, décident d’abandonner définitivement Port-au-Prince. Une situation qui aura des impacts profonds sur les déplacés dont certains n’ont aucun pied à terre dans les zones de destination.

C’est le cas de Jacqueline Louis qui décide de tourner le dos à jamais à cette partie du pays. « J’ai souffert dans mon âme et dans ma chair », a-t-elle déclaré au moment où elle s’apprêtait à se rendre dans le Nord. Cette mère de famille affirme avoir perdu le père de ses enfants à Carrefour-Feuilles, un quartier populeux situé au sud-est de la capitale, lors d’une attaque de gangs.

Comme si ce n’était pas suffisant, avec ses deux enfants, Jacqueline dit avoir vécu l’enfer au lycée du Cent-cinquantenaire puis au local de l’Office de la protection du citoyen (OPC).

Après une journée d’attente infructueuse le 9 avril dernier au carrefour de l’aéroport, elle a fini par trouver un billet de bus. Avec trois petits sacs, Jacqueline et ses enfants ont pu trouver un Pap-pa-dap qui devait assurer le trajet. Cette débrouillarde affirme avoir tout perdu : sa maison, son conjoint, son petit commerce et tout ce qui se trouvait dans sa maison.

Ce qui n’était pas emporté par les flammes a été volé par les bandits ayant assiégé son quartier. « Je vais tout simplement refaire ma vie et essayer d’oublier le cauchemar que j’ai vécu à Port-au-Prince », a-t-elle déclaré.  

Des professionnels autonomes contraints également de fuir Port-au-Prince

Tiraillée entre la joie de partir et le regret d’avoir perdu une partie de sa vie, le plus important pour la mère de famille est, maintenant, de sauver sa peau et celle de ses deux garçons, lesquels étaient déjà en difficulté de boucler l’année scolaire. « Dans ces moments, l’instinct de survie l’emporte sur tout », a-t-elle confié. Si Jacqueline a tout perdu avant de s’en aller, Jean-Robert Sylvain, lui, jeune avocat, a décidé de tout abandonner en quête d’un environnement moins stressant.

Ce jeune homme est obligé de fuir Torcel, puis Village Théodat, deux quartiers de la commune de Tabarre. À chaque fois, sa maison a été la cible de bandits armés. Lors d’une attaque de ces derniers, au début du mois d’avril, M. Sylvain était contraint de se réfugier à Delmas 75 chez un ami. Ne voulant plus importuner son hôte, il a pris la décision de quitter la capitale ne serait-ce que pour quelques mois, le temps que tout se calme un peu.

« Je n’ai rien à Belle-Anse, à part la maison de mes parents dans laquelle vivent déjà ma femme et ma fille. Mais à cause de ma profession, je pense qu’il sera difficile pour moi de vivre longtemps dans cette zone », raconte maître Sylvain, ajoutant qu’il ne pourra pas prendre soin de sa famille si les choses ne s’améliorent pas dans la capitale haïtienne.

Ainsi, dans les stations, chacun raconte son histoire. Mais le dénominateur commun est la montée de la violence des gangs depuis déjà un peu plus d’un mois. Ne sachant plus où donner de la tête, certains sont obligés d’accompagner un ami. Ils s’aventurent dans des territoires inconnus. Tous les plans sont admis, il suffit, pour eux, de s’éloigner de l’enfer de Port-au-Prince.

Ils portent tous, au moins, une séquelle. Indélébile pour certains, passagère pour d’autres. Leur désir le plus entier est de trouver refuge au niveau de leurs zones d’accueil.

Les chiffres avancés par des organismes onusiens parlent de dizaines de milliers de déplacés au cours des quatre dernières semaines. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé ce vendredi que près de 100 000 personnes avaient fui la zone métropolitaine de Port-au-Prince au cours de ce laps de temps.

Entre-temps, les autorités ne pipent mot, laissant la situation se dégénérer un peu plus chaque jour sans prendre en compte les répercussions que cet exode peut avoir sur les communautés locales. 

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/247658/quitter-port-au-prince-a-tout-prix

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